lorsqu’il est sorti, j’ai tout vérifié, 5 doigts aux mains, 10 doigts de pieds, ouf tout allait bien. On attendait de voir le bébé pour lui donner un prénom.
Quand l’accouchement se déroule bien, que le bébé est en bonne santé, la rencontre des parents avec le bébé se fait d’elle-même. Elle est ainsi peu évoquée dans les récits des premiers temps. Quelques points de vue témoignent tout de même de l’extraordinaire qui se produit : ce bébé qui croit au creux du corps de la femme, à l’abri des regards, se révèle au dehors, dans toute sa nouveauté, sa singularité, même avec les progrès techniques d’imagerie.
Lorsque l’imprévu survient, que la rencontre spontanée est gênée, voir empêchée, le caractère fondamental de la rencontre se révèle. Cela peut-être à l’occasion d’une césarienne, d’une détresse respiratoire, d’une hémorragie de la délivrance… À l’extrême, une jeune femme raconte : « J’ai l’impression de ne pas avoir accouché », « Mais si vous avez accouché » m’a assuré la gynécologue à la visite du 1er mois ». Elle reste pour autant perplexe, 10 mois après…
Je l’ai à peine vue, On me l’a enlevé à la naissance. Ils m’ont dit que tout allait bien mais que le bébé avait besoin d’aide pour respirer
La rencontre avec le bébé de corps et de chair est un des événements majeurs que vivent les jeunes parents. Il permet de donner sens à l’événement de l’accouchement, de poursuivre l’histoire au-delà du ventre vide, d’avancer dans l’ordre des choses. Sinon, c’est tout ce qui manque qui prend toute la place : « Je ne l’ai pas vu pendant 4 jours », « Il n’était pas là », « je n’ai pas eu de nouvelles pendant 2 heures, c’est le papa qui a suivi les choses », « Je ne pensais qu’à elle, moi, ce qui m’arrivait, je m’en fichais », « je me demandais où il était, s’il était bien vivant ». Nombre de jeunes femmes vient ainsi la détresse, l’égarement, la perte de repères. Ces événements affectent aussi le lien de couple : « On n’arrive pas à en parler ». Les pères peuvent évoquer leur désarroi : « Je ne savais plus où aller, j’ai dû accompagner le bébé, je me faisais du souci pour ma femme », « J’y pense souvent, même si je n’en parle pas ».
En tant que professionnels de périnatalité, nous sommes les témoins des traces de ce qui n’a pas eu lieu, et qui reste en panne, même après plusieurs mois, même lorsque « maintenant c’est un bébé qui va bien ». Nous soutenons la mise en récit, l’expression de la parole et des émotions, pour que la famille puisse reprendre le passé pour l’inscrire dans son histoire et aller de l’avant : « Maintenant on se sent à trois », « ça y est, je me sens bien avec ma fille ».